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“L’Île d’Or” : la nouvelle et lumineuse création du Théâtre du soleil

Hélène Kuttner 22 novembre 2021
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©michele_laurent

La voici, cette île tant attendue depuis deux ans par Ariane Mnouchkine et sa troupe multinationale du Théâtre du Soleil, dont le voyage a été stoppé par la Covid. Un hommage au Japon et ses ancestrales traditions, qu’une cinquantaine d’artistes de toutes nationalités porte avec une vitalité inouïe. À voir en famille et entre amis pour savourer les images de ce théâtre monde en forme d’utopie.

Une île véritable où l’or coulait

C’est une véritable île du Japon, en réalité l’Île de Sado, située au nord-ouest du pays, qui possédait depuis l’époque féodale d’importantes mines d’or et d’argent, qui sert de décor à cette nouvelle création. Après Une chambre en Inde, où déjà une metteure en scène imaginait de sa chambre tout un spectacle en Inde, c’est de son lit que la comédienne Hélène Cinque incarne une créatrice de spectacle vivant, malade de la Covid, qui rêve à haute voix son spectacle. Est-ce un double de Mnouchkine ? Est-elle au Japon, ou à Paris ? Son lit glisse sur des roulettes et traverse le grand plateau, poussé par d’innombrables petits lutins noirs. Et nous voici sur cette île, où deux soeurs tenaces et dynamiques se battent, contre vents et marées, pour organiser un festival international de théâtre alors que des hommes d’affaires corrompus cherchent par tous les moyens les plus fourbes à abattre leur hangar pour y construire un juteux casino.

Une BD haute en couleurs

© Michele Laurent

Tout va très vite, dans l’Île d’or. Les tréteaux de bois sur roulettes filent à toute allure, montés et démontés à la vitesse de l’éclair par les comédiens. On y voit monter un sauna japonais avec sa vapeur, où des acteurs en combinaison nue s’échangent des contrats, une voiture décapotable qui s’enfuie en pleine steppe, un hélicoptère rugissant qui bruisse de coups fourrés maffieux, un yacht libanais ou un magna de la finance violente sa jeune maîtresse. Japonais, Libanais, Afghans, Chinois ou Français, Palestiniens et Israéliens se rencontrent et échangent, pour le pire – la bagarre et le business – ou le meilleur – la poésie et le théâtre. Hélène Cixous a bâti un texte qui balaie toutes les tragédies actuelles où des personnages illuminés et héroïques tentent de construire de barrages d’humanité et de beauté. Trop simple me direz-vous ? Certainement, tant il va dans tous les sens. Mais l’énergie des acteurs, leur vivacité et la beauté des images emportent les spectateurs et l’humanité qui transpire de chaque scène, sa drôlerie, font le reste.

Des images à couper le souffle

© Michele Laurent

Toiles peintes aux vagues d’Hokusai, montagnes magiques sur des flots agités, tempêtes rosées et papillons virevoltant, les images créées en direct, comme la musique de Jean-Jacques Lemêtre, sont le support de l’action et des dialogues en mélange de français et de japonais qui inversent la structure de la phrase. Les comédiens, tous masqués, font le jeu de ces situations burlesques qui oscillent entre la farce délirante, et la tragédie réaliste. Le massacre de Tian’anmen, l’arrivée des Talibans en Afghanistan ou la corruption des financiers qui méprisent les traditions historiques et la préservation de l’environnement, les personnages survoltés s’attaquent à toutes les causes, tirant dans ce qui fait le plus mal. Rien à perdre depuis que le virus chinois a dévasté la planète avec son lot de mensonges et de faux-semblants. D’ailleurs, voici la marionnette du Docteur Li, ophtalmologue et lanceur d’alerte de 33 ans qui le premier avait alerté le gouvernement chinois sur la réalité du mal et dont il est mort en martyre. On rit, on pleure, on s’embarque les yeux fermés mais le coeur plein d’émotions dans ce spectacle en forme de voyage vers l’utopie, qui n’oublie pas l’enfer humain. Des échassiers géants pénètrent à la fin sur des draps satinés de bleu flottant comme des nuages. Ce sont eux, les artistes qui font tenir notre monde et nous font encore croire en la vie.

Hélène Kuttner

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